Le « virus des inégalités mondiales » qui inquiète Oxfam
- Mauriat Victor
- 26 janv. 2021
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 27 janv. 2021
Dans son nouveau rapport annuel sur les inégalités, Oxfam révèle que les 1000 personnes les plus riches du monde ont retrouvé leur niveau de richesse d’avant la pandémie en seulement neuf mois. Mais il pourrait falloir plus de dix ans aux personnes les plus pauvres pour se remettre de la crise.

Quoi qu’il en coûte. Le mantra d’Emmanuel Macron pour répondre aux conséquences financières de la crise sanitaire résonne alors qu’Oxfam, confédération internationale d’organisations caritatives, publie son rapport annuel sur les inégalités. Révélé hier à l’occasion du Forum Economique Mondial de Davos (Suisse), le rapport affirme que les dix hommes les plus riches du monde – dont fait partie le français Bernard Arnault – ont vu leur fortune totale augmenter de plus de 500 milliards de dollars depuis le début de la pandémie. « Cet enrichissement n’est pas une action naturelle, réalisée par l’opération du Saint-Esprit, explique Quentin Parinello, porte-parole et responsable du plaidoyer justice fiscale et inégalités d’Oxfam, c’est un soutien public, opéré par les banques centrales, qui ont injecté des centaines de milliards de dollars dans les marchés financiers. Cela a eu pour effet de faire gonfler les capitaux de ceux qui ont des actifs financiers, c’est-à-dire les milliardaires. »
Un phénomène constaté partout dans le monde, comme le rappelle Oxfam. Il n’a fallu que neuf mois au 1000 personnes les plus riches du monde pour recouvrir leurs pertes dues à la pandémie. « Aux Etats-Unis par exemple, des chèques ont été donnés à tout le monde, même à ceux qui n’en avait pas besoin, détaille Eric Heyer, directeur du département Analyse et Prévision de l’Observatoire Français des Conjonctures économiques (un cercle de réflexion classé à gauche), ainsi la bourse américaine est à un niveau supérieur qu’au début de la pandémie, fin 2019 ».
Cependant, Jean-Hervé Lorenzi, du Cercle des économistes, estimait lundi 25 janvier sur RFI qu’« on ne peut pas dire que les plans de relances des banques centrales ont aggravé les inégalités, car sans eux, il y aurait eu des conséquences au niveau macro-économique tout aussi graves ». Pour comprendre les causes de cet enrichissement, « il faut aussi tenir compte de la spécialité de certaines entreprises, les leaders des nouvelles technologies comme Tesla ou Amazon ont tiré profit de la situation, bénéficiant de la spéculation sur les solutions qu’elles pourraient offrir à l’avenir », rappelle Eric Heyer.
Deux poids, deux mesures
En revanche, de l’autre côté de la pyramide sociale, les plus pauvres souffrent massivement des conséquences économiques de la pandémie. « Des centaines de millions de personnes sont en train de basculer dans la pauvreté à cause de la crise, selon les projections de la Banque Mondiale celles-ci pourraient rester sous le seuil de pauvreté pendant les dix prochaines années », s’inquiète Quentin Parinello. « Dans toutes les crises, les emplois précaires ne sont pas renouvelés, et il y a des destructions d’emplois, et celle-ci est particulièrement forte et n’épargne personne dans le monde », abonde Eric Heyer.
Pour Oxfam, la plupart des travailleurs dans le monde n’étaient pas suffisamment protégés pour faire face à la crise, « trois milliards de personnes n’avaient pas de couverture de santé avant la crise et les trois quarts dans les pays en développement n’ont pas d’allocation chômage ou de congés maladie » précise son porte-parole. Même constat pour Jean-Hervé Lorenzi sur RFI « les gouvernants ne font pas suffisamment d’effort vis-à-vis des poches de pauvreté. C’est une situation extrêmement grave ».
Les inégalités, « un choix politique, en France aussi »
« Ce qui est terrible, souligne Quentin Parinello, c’est que les richesses accumulées par les dix milliardaires les plus riches depuis le début de la crise seraient amplement suffisantes pour éviter que quiconque sur notre planète ne sombre dans la pauvreté à cause du virus et pour financer un vaccin contre la COVID- 19 pour toutes et tous ».
Les auteurs du rapport pointent également l’absence de protection sociale des plus vulnérables. « En France, le chômage partiel, que nous soutenons, marche moins bien pour les contrats courts, les indépendants, les intérimaires, le secteur informel, ou encore les chômeurs, regrette Quentin Parinello, il aurait fallu une réponse spécifique pour les personnes vulnérables ». Selon Oxfam, si le soutien des gouvernements, via les banques centrales, aux entreprises a été très rapide, celui apporté aux personnes défavorisées tarde à venir. « Les gouvernements sont face à un vrai choix politique, en France aussi » lance l’ONG. Et pour Eric Heyer, il y a urgence. « Selon nos estimations, à la fin de cette année 2021, il va manquer entre 800 000 et 1 million d’emplois par rapport à fin 2019. Malgré l’activité partielle, les emplois aidés et caetera… Les conséquences en seront désastreuses ».
Taxer les hauts revenus
Mais alors quelle est l’alternative ? « Tout l’enjeu est de ne pas reproduire les erreurs de 2008 : l’austérité massive, les approches budgétaires des services publics … On sait que ce ne sera pas la dernière crise, il faut retravailler un système pour qu’il profite à tous » prévient le porte-parole d’Oxfam. En France, cela signifie « revaloriser les salaires et les minima sociaux, notamment pour les jeunes qui n’ont pas droit au RSA par exemple, mais aussi investir dans l’éducation et la santé ». Pour financer cela, Oxfam demande aux gouvernements de « faire contribuer les plus riches » en créant « un véritable impôt sur la fortune ». Une mesure prise récemment par les gouvernements argentin et bolivien, débattue actuellement au parlement espagnol tandis qu’elle figurait au programme de campagne de l’actuelle vice-présidente des Etats-Unis, Kamala Harris. « La France a une posture idéologique sur le sujet puisqu’elle affirme que ce n’est pas le moment, mais elle devra elle aussi se poser la question à un moment ou à un autre » conclut Quentin Parinello.
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