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À la Goutte d'or, les habitants peu emballés à l'idée d'"embellir leur quartier"

La mairie de Paris lance un projet destiné à faire participer les riverains à la rénovation du quartier populaire du 18e. Certains d'entre-eux jugent l'initiative insuffisante, alors que d'autres ne souhaitent pas voir "leur" Goutte d'Or changer.

Une camionnette bloquée par le marché rue Dejean. © Félix d'Orso

“L’artiste nous doit six euros, le Turc huit. Je vais aller faire de la monnaie”. C’est le jour du marché rue Dejean dans le quartier parisien de la Goutte d’Or (18e) et les commerçants donnent quelques consignes à leurs employés. L’animation de cette artère commerçante confirme une partie du diagnostic de la mairie de Paris sur le quartier : ce dernier possède “une offre commerciale très dense”.


Le rapport a été réalisé en décembre dans le cadre du projet “Embellir votre quartier” mis en place mardi 26 janvier par la municipalité et visant à faire participer les 28 500 habitants du célèbre quartier à sa rénovation. L’objectif : “développer la végétalisation, redonner de la place aux piétons, apaiser les circulations et favoriser l’appropriation de l’espace public par les habitants.” Pour y arriver, les élus ont lancé une consultation en ligne destinée aux riverains de ce quartier populaire coincé entre la butte Montmartre à l’ouest et les voies ferrées de la gare du Nord à l’est.



Rue Myrha, non loin du marché de la rue Dejean, Etienne, un quinquagénaire approuve l’analyse de la mairie à propos des commerces. “Le quartier n’en manque pas mais ils sont peu variés”. Car outre les boucheries Halal, les quelques poissonneries et les épiceries, situés dans “le triangle Poulet, Dejean, Poissonniers", ailleurs dans le quartier, les commerces alimentaires se font plus rares. “Je trouve que cela manque un peu de commerces…comment dire ?”, commence Anna. “Européens ?”, complète Antoine en rigolant. Le couple de trentenaires a emménagé à la Goutte d’Or il y a un mois. Par rapport au 17ème où ils habitaient avant, ils préfèrent le 18ème, “plus populaire”, “moins bobo” et “plus convivial”. En quittant le 17e, ils ont fui une "gentrification" qu'ils ne retrouvent pas ici.



Le quartier de la Goutte d'Or est délimité par le boulevard Barbès à l'ouest, le boulevard de la Chapelle au sud et les voies ferrées de la gare du Nord à l'est.

Deuxième conclusion du diagnostic de la municipalité : “un trafic routier modéré concentré sur les voies les plus larges”. Là encore, les riverains sont plutôt d’accord à quelques exceptions près. “Aujourd’hui, la rue Myrha est calme mais c’est assez trompeur, en fin de semaine c’est blindé de voitures d’habitude car beaucoup de gens viennent de banlieue pour faire leurs courses”, explique Etienne.


"C'est normal qu'il y ait des voitures !"


Sur les boulevards Barbès et de la Chapelle, le trafic est très dense si bien qu’il a fallu empiéter sur les trottoirs pour ériger les pistes cyclables chères à Anne Hidalgo. Et ironie de l’histoire, plus de 70 % des habitants du quartier ne possèdent pas de véhicule. “Mais on ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre !”, s’emporte Elisabeth. “Qui dit commerces, dit livraisons, dit trafic routier, c’est normal qu’il y ait des voitures !” Cette retraitée défend bec et ongles le quartier dans lequel elle vit depuis 34 ans. “J’habite à l’angle de la rue Myrha et de la rue Stephenson, juste au-dessus de la Pizz’ qui est très bonne d’ailleurs.” Pour elle il n'y a presque rien à changer, le quartier est bien comme ça.


La municipalité a déjà rendu certaines petites rues du coeur de la Goutte d'Or entièrement piétonnes. © Félix d'Orso

La sécurité absente du rapport


Car si globalement les riverains sont d’accord avec les conclusions du rapport, beaucoup s’étonnent de l’absence des questions sécuritaires. Aujourd'hui, la grandes majorité des rues du quartier sont calmes et semblent sans danger, mais les boulevards ont moins bonne réputation. À la sortie du métro Barbès Rochechouart, en effet, trois policiers contrôlent un jeune dans le calme.


C’est un mauvais quartier”, juge un homme de 70 ans qui patiente à la laverie rue de Jessaint. Lassé par “le trafic à côté du métro” et les incivilités, il trouve que le quartier a changé en 20 ans. “Ici même à la laverie il y a quelques années, il y avait des chaises et des équipements mais tout a été enlevé, car des jeunes squattaient”, se désole-t-il. “Regardez, en voici un échantillon”, déclare-t-il amer en montrant de la tête un jeune visiblement défoncé qui passe dans la rue.


Située à côté d’un point de deal, la bibliothèque Goutte d’Or a fermé en novembre après un droit de retrait des agents, témoins de violences quotidiennes, selon Actu Paris. Depuis janvier, elle rouvre quelques jours par semaine sous protection policière.



Contactée pour savoir si elle travaillait à améliorer la sécurité du quartier dans le cadre du projet “Embellir mon quartier”, la mairie de Paris n’a pas répondu à nos questions.


Ce diagnostic et cette consultation de la mairie sont de bonnes initiatives, mais il faut parler de la sécurité”, résume Elodie. Idem concernant la propreté estiment Anna et Antoine. “C’est très inégal dans ce quartier. On passe du propre au sale d’une rue à l’autre et on trouve souvent des seringues dans les squares donc on évite d’y promener notre chien”.

Mais le jeune couple n'est pas trop sévère avec son nouveau quartier qu'il juge encore “en développement”. “C'est bon à savoir cette initiative de consultation en ligne”, lâche Antoine.


Les idées des riverains récoltées sur le site seront étudiées par les équipes de la mairie, qui envisage de commencer des travaux “légers” à l’été 2021 avant d’entamer les aménagements plus importants en 2022. Après la Goutte d’Or la démarche “Embellir Paris” devrait être appliquée sur seize autres quartiers parisiens. Mais gare à ne pas trop transformer la Goutte d'Or. "Nous sommes heureux ici. C'est un petit village", conclut Etienne tout sourire.


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